DOMICILE OU HOPITAL ? A MAISONS, UNE ALTERNATIVE
LA MAISON D’ACCOUCHEMENT
Installée en 1906, au 1, avenue de Saint-Germain, Madame Marie Cherbry, sage-femme, accueille les femmes sur le point
d’accoucher. Ce sont souvent des célibataires logées dans de tristes conditions. Elles y resteront quelques jours avec leur bébé avant de reprendre une autre vie.
Faute de sages-femmes, la matrone a longtemps été présente aux côtés des femmes dans les campagnes. Elle était choisie par la communauté en fonction de la confiance qu’elle inspirait. La matrone
ne bénéficiait pas de formation. Au mieux, elle possédait une connaissance empirique grâce à sa propre expérience.
A partir d 1900, une succession de révolutions sociales et de progrès scientifiques va changer considérablement la maternité.
En effet, les hôpitaux sont destinés aux femmes les plus pauvres qui ne pouvaient accoucher chez elles. Or, les conditions d’hygiène dans les chambres communes des hospices et des hôpitaux sont
déplorables. La mortalité maternelle et infantile est importante en raison, notamment, de la fièvre puerpérale.
En France, c’est dans les années 1920-30 que la naissance en milieu médicalisé se répand, surtout dans les grandes villes ; à Paris, en 1939, il concerne déjà la majorité des naissances (67,8%,
contre 7,7% à domicile et 24,3% chez une sage-femme). En France, les femmes acceptent ce changement pour diverses raisons. D’abord, parce que l’Etat les aide davantage au moment de leurs couches,
depuis qu’il a pris conscience des dangers de la dénatalité. En effet, la France se dépeuple dangereusement : le taux de natalité baisse régulièrement (21,4% en 1920 ; 14,6% en 1938) et, à partir
de 1935, le chiffre absolu des décès l’emporte sur celui des naissances. Pour stimuler la natalité, l’Etat est amené à aider pour leurs couches les salariées les moins payées : elles ont droit à
une prise en charge forfaitaire des frais d’accouchement, au versement pendant douze semaines d’une indemnité égale à la moitié du salaire et à des allocations mensuelles d’allaitement. Cela
habitue peu à peu les futures mères à l’idée de faire leurs couches dans un espace médicalisé.
Tout n’est pas rose cependant à l’intérieur de l’hôpital. Les femmes y sont totalement soumises au personnel médical qui garde encore à leur égard la méfiance qui était de rigueur envers la
clientèle pauvre des anciens hospices. Dès l’entrée, c’est l’anonymat ; elles sont systématiquement déshabillées, lavées et rasées, par crainte de la vermine et des poux : “les gens sont sales”,
dit le personnel hospitalier. Toutes sont habillées du même linge, marqué des initiales de l’Assistance Publique “A.P” (même le pain, se souvient une vieille dame, était marqué !). L’accouchement
se déroule souvent dans une totale solitude, car tous les étrangers au service (mères, amies, maris) sont systématiquement refoulés au nom des règles de l’hygiène. La femme reste seule avec son
angoisse et sa douleur. Après la naissance, la vie collective est marquée par des règles très strictes qui s’apparentent à celles d’un couvent : les salles communes ont dix à quarante lits, ce
qui rend difficile le repos total; en revanche, cela peut aussi faciliter les bavardages et partages de friandises et reconstituer un peu du “caquetage” chaleureux d’autrefois. Soulignons aussi
que, pour certaines femmes de milieux modestes, habituées à travailler dur, le séjour à la maternité a pu être vécu comme une parenthèse confortable et reposante, pouvant même ressembler à des
vacances (fort rares à l’époque) !
Malgré des progrès évidents accomplis en matière de sécurité et de confort, l’hôpital garde longtemps une image défavorable : les femmes qui en ont les moyens préfèrent toujours accoucher à
domicile, même dans les grandes villes. L’accouchement à la maison est effectué en général par une sage-femme. Pour les femmes des milieux aisés, le journal Maman, en février 1932, donne une
longue liste d’objets à préparer avant la naissance. La minutie et la longueur des prescriptions ne doivent pas décourager celles qui choisissent d’accoucher chez elles, car “cet acte
physiologique s’accommode à merveille d’un milieu intime, familial, discret.” À la campagne, les grands hôpitaux modernes n’existent pas : les sages-femmes viennent à domicile,: en 1937, 500
cantons sur 2200 sont dépourvus de sages-femmes instruites ; comme au XVIIIe siècle, des matrones formées sur le tas, plus ou moins expertes, sont seules pour assister les femmes en
couches.
Dans l’entre-deux-guerres, il n’y a pas de consensus sur le lieu idéal de l’accouchement et, à l’échelle nationale,. À partir de 1952, l’évolution s’accélère : la majorité des accouchements a
lieu désormais en milieu hospitalier (53% en 1952, 85% en 1962).
Au cours des années 1970-80, se produisent d’autres transformations fondamentales des pratiques de naissance (échographie, monitoring, péridurale) qui font oublier la « révolution » de
l’accouchement sans douleur, qui avait pourtant donné aux femmes une maîtrise certaine sur leur corps pendant l’accouchement.
Gérard Finet